Les cultures énergétiques vont-elles appauvrir les sols en matière organique ? Il y a des arguments pour et des contre, en fonction des cultures, des niveaux de prélèvement de la biomasse, et de la nature et de l'histoire des sols. Une chose reste certaine: défricher des terres en forêts ou prairies permanentes pour cultiver des plantes annuelles n'est pas la bonne solution !

L'évolution du contenu en matière organique des sols cultivés (notamment leur teneur en carbone, qui constitue approximativement 58% de la matière organique) dépend:

  1. 1. des pratiques culturales (travail du sol, gestion des pailles, successions des cultures, etc...),
  2. 2. des changements d'usage qu'ils ont éventuellement subis.

Les cultures énergétiques sont susceptibles de faire intervenir les 2 types de facteurs. Les données ci-dessous sont tirées (sauf mention contraire) de l'expertise collective de l'INRA sur le stockage de carbone dans les sols (2002).

Energie et changements d'usage

Par changement d'usage on entend des passages entre prairies permanentes, forêts et cultures (terres dites 'labourables'). Ces dernières sont le plus souvent des cultures annuelles (ie ré-implantées tous les ans), et labourées - bien que les techniques de travail du sol simplifiées sans labour profond tendent à se répandre actuellement en France. En France, les déstockages de carbone moyens liés à la conversion en terres labourables sont estimés ainsi: forêt -> terres labourables = perte de 30 tonnes de C / ha (à multiplier par 44/12 pour obtenir des équivalents C02) prairies permanents -> terres labourables = perte de 25 tonnes de C / ha

Compte tenu de ces pertes sèches, une étude du Centre de Recherche Européen d'Ispra estimait le temps 'd'amortissement' entre 20 et... 110 ans, selon les biocarburants considérés. Un prix fort à payer pour mobiliser de nouvelles terres labourables pour les agro-carburants. Il s'agissait néanmoins ici uniquement de cultures annuelles. Pour les cultures pérennes, les choses sont un petit peu différentes, dans la mesure où elles seraient plus aptes à stocker du carbone (voire ci-dessous). Le passage de prairies permanentes 'pauvres' à des prairies temporaires occasionnerait des pertes maximales de 0,1 à 0,2 tonne de C/ha/an sur 20 ans - voire générerait une augmentation dans la même fourchette si la prairie temporaire (ici la culture pérenne) a une productivité plus forte que la prairie permanente initiale, ce qui serait probablement le cas avec les cultures énergétiques.

Il reste à évoquer le cas de la jachère, puisque jusqu'à présent les cultures-énergie étaient implantées sur ce type de terre. La jachère peut être fixe (ie gelée pour plusieurs années successives), ou tournante (ie la parcelle est gelée une année, étant précédée et suivie de cultures annuelles classiques). Il est difficile d'avoir des statistiques précises sur la répartition des 2 types de jachère, mais on peut considérer qu'environ 30% des surfaces en jachère ne sont pas cultivables 'dans de bonnes conditions' (ie sont fixes - Sourie et al., 2004 ).

Les jachères tournantes sont couvertes, ie on implante un couvert à l'automne pour ne pas laisser le sol nu, ce qui laisserait fuir les nitrates vers les eaux. Dans la mesure où la culture énergétique a une productivité en biomasse (aérienne et souterraine) supérieure à celle de ce couvert temporaire, on peut considérer qu'elle constitue un léger puits de carbone (0,16 t C/ha/an). Si l'on retourne une jachère fixe pour faire une culture annuelle, le déstockage de carbone peut être important - mais n'a pas encore été étudié.

L'effet des pratiques culturales

L'exportation de résidus de récolte de plantes annuelles, comme des pailles de blé ou des cannes de maïs, est considérée comme un gisement à fort potentiel au niveau mondial. Néanmoins ce potentiel doit être ajusté pour éviter une chute de matière organique (MO) des sols. Le sujet reste controversé aux Etats-Unis, où les problèmes d'érosion (et de pertes de MO) sont sensibles. En France, une étude récente en Picardie a montré que le niveau de prélèvement acceptable de ce point de vue était de l'ordre de 25% du gisement total - voire un peu plus appliquant une gestion 'à la parcelle'. Parmi les cultures annuelles utilisées actuellement pour l'énergie, le colza pourrait être intéressant pour la MO des sols car fournisseur de pailles (a priori pas forcément mobilisables pour l'énergie, du fait de contraintes de récolte). A contrario, le maïs ensilage utilisé en Allemagne pour le bio-gaz contribuerait à faire baisser le niveau de MO, du fait d'une exportation de 90% de la biomasse aérienne produite. L'implantation de cultures intermédiaires piège à nitrates (CIPAN) permettrait dans une certaine mesure de pallier ce défaut, mais il faudra rester vigilant. Les cultures pérennes, enfin, (comme le miscanthus ou le switchgrass) permettrait un stockage de carbone plus important que les cultures annuelles pendant leur cycle de vie. Néanmoins il semble que la matière organique ainsi accumulée soit assez rapidement dégradée une fois que la parcelle est retournée.