4 Août 2016 - avec Julien Duverney, guide.

Départ par la 3ème benne de l'Aiguille vers 6h45; il fait déjà doux dans la vallée (près de 20 °C!), un peu plus frais en sortant de la 'grotte' suintante d'humidité qui donne sur l'arête qui descend vers le col du Géant. Le parcours est agrémenté de quelques sauts de puce par-dessus les crevasses pour cause de faible enneigement récurrent cette année (d'ailleurs nous ne reverrons pas un pet de neige sur l'Aiguille elle-même, parfaitement séche).

Julien suscite l'admiration d'une grimpeuse anglaise en escaladant les premiers mètres de granit en grosses chaussures, depuis la pente de neige bordant le bas de la face S de l'Aiguille. Je me permets de lui expliquer qu'en fait il compte juste s'installer confortablement sur la plateforme juste au-dessus qui sert de relais "0" pour la première longueur. Soulagement, elle n'est pas tombée dans un remake des Etoiles de midi... Julien part légèrement à droite dans un dièdre ascendant avant d'en tourner le coin et revenir rapidement à gauche via une fissure en diagonale. Il fait relais sous le toit qui marque la séparation d'avec la voie 'Rébuffat' d'à côté, et peut se franchir par la droite comme par la gauche. Julien a choisi cette dernière option - je pars le rejoindre en glissant à la même grimpeuse anglaise arrimée à notre relais que si elle veut faire la 'classic' (la voie Rébuffat) il faut qu'elle continue plus loin vers la gauche en fait. "Good thing you told me" me répond-elle en souriant - ce qui lui évitera de partir par erreur dans une voie un cran au-dessus en termes de difficultés.

C'est un plaisir de retrouver le granit si coloré et adhérent de cette face que j'avais gravie par 'the classic' plus de 10 ans auparavant. Les grains à la surface sont parfaits pour gratonner, les chaussons adhèrent à la moindre parcelle minérale et permettent des mouvements d'équilibre improbables quand les prises de main disparaissent. Il faut néanmoins également se réhabituer au style "fissure ronde" sans aspérité évidente sur lesquelles faire agripper les doigts, et je ferraille pour remonter vers le relais. Arrivé en haut Julien m'annonce un "6a+" pour la longueur suivante - celle-ci aurait donc dû être plus facile ? Huf et puf... Quand je pense à la fissure crux en 6c/7a à venir, le doute m'envahit - on dirait que l'altitude (3800 m) et les particularités de la grimpe chamoniarde sont en train de me jouer un tour... Oh surprise, la longueur suivante est une courte et plaisante promenade sans difficultés particulières. Il suffisait donc de s'échauffer ! (ou de lire correctement le topo, qui annonçait bien '6a+' mais pour la première longueur et 6a pour L2).

Début de L3, les fissures verticales

Le relais suivant annonce le début des (vraies) difficultés: 40 mètres soutenus consistant à remonter deux fissures parallèles, interrompues par un petit toit franchissable par un pas 'intense et délicat', d'après le topo (niveau 6b/6b+). Julien s'y emploie pendant une bonne demi-heure, coinçant un pied à droite, puis à gauche, louvoyant sous le toit pour mousquetonner un vieux spit tout à gauche avant de saisir l'arête bordant le côté droit, et enfin progressant précautionneusement au-dessus, de coinceur en piton vers la vire du relais suivant. L'escalade est magnifique, il ne faut pas hésiter à faire des verrous dans les fissures quand les grattons se dérobent, les prises de main sont toujours franches - dans le genre 'verticales', bien sûr. Je choisis une autre méthode que Julien pour passer le toit, la main droite sur l'arête et le pied en adhérence sur le rebord supérieur de l'obstacle. Le jeu des deux fissures parallèles reprend ensuite, agrémenté cette fois de l'arête main droite et surtout de pitons qui permettent de reposer les pieds entre 2 verrous (les mollets commençant à être douloureux...) - mais nous n'en dirons rien.

Sortie de L3 et des fines fissures parallèles

Nous remontons ensuite un dièdre légèrement couché (5+), en sortons par un court mur sur la gauche donnant accès à une confortable terrasse d'où nous pouvons (enfin) admirer de près la fameuse fissure déversante en 6c/7a, qui est la clé de la voie, et qui nous dominait d'un air vaguement menaçant depuis le début de l'escalade. L'obstacle paraît de fait plus avenant vu de près et légèrement de côté.

Le mur vertical de L4 avant la terrasse du relais.

"Bon, c'est là qu'il faut s'appliquer" prévient Julien en partant à l'assaut d'un premier bloc décollé qui défend l'accès à la fissure. Les deux pieds sur le haut du rocher, il se lance sur des petites prises, inspecte la suite, puis redescend prudemment pour placer un friend. Autant protéger la chute quand on est encore en terrain facile... Il repart ensuite, pose un pied droit très haut sur une espèce de bosse protubérante sur la droite, pose un deuxième coinceur, se hisse sur son pied - et disparaît à ma vue, dans un bombé. Quelques minutes plus tard il ressort, accroché à ce qui paraît une écaille miraculeusement franche, et commence à traverser vers la gauche. Ayant en mémoire des photos ou videos peu engageantes de cette traversée je m'enquiers de la nature des prises. "Tu peux y aller c'est très bon ici" me rassure Julien. Finalement la partie réellement difficile est plutôt courte... et moins physique que prévu grâce à la bosse médiane, qui une fois franchie permet de se poser pour bien négocier la fin de la fissure. Encore une fois nos options divergent: Julien (qui devra refaire le passage pour récupérer une dégaine que j'avais laissé choir au bas du passage, dans le feu de l'action... ) est partisan d'un bon mouvement de dülfer avant d'atteindre l'écaille salvatrice (efficace mais un peu aléatoire) - je préfère quant à moi monter les pieds de part et d'autre de la fissure sur des aspérités microscopiques pour lancer une main vers la même écaille (moins physique mais tout autant risqué...). Le relais se situe une dizaine de mètres à droite, au bout d'une traversée protégée par de beaux scellements tout neufs.

Traversée vers le relais en fin de L5 (longueur clé).

La 6ème longueur remonte une belle dalle à 'knobs' (cailloux noirs protubérants enchassés dans la granit), avec un mouvement délicat légèrement descendant pour mousquetonner la dernière des nouvelles broches en place (merci aux ré-équipeurs !) - quelque chose comme 6a pour le niveau. Quelques bonnes fissures horizontales permettent d'atteindre une grande plateforme, relais pour la dernière longueur. Celle-ci traverse à travers des blocs détachés et lames rocheuses pour attaquer l'éperon sommital de l'Aiguille. Les quelques mètres en 6b ne sont pas donnés - je m'emploie un moment à trouver les grattons (bien à gauche de l'éperon) et les petites réglettes qui sont la clé du passage. Belle séquence technique finale... (et ténacité pour ne pas tirer au clou et bien finir la voie en libre!)

Dans le mur final, sur l'éperon sommital.

Le rappel final nous dépose autour de 11h30 sur les galeries du téléphérique. La descente n'est pas encore engorgée, la face N de l'Aiguille défile rapidement sous notre cabine... à bientôt pour l'éperon Frendo ?