L’enfer climatique vers lequel nous pourrions nous diriger à grands pas est pavé de bonnes intentions, et l’actualité fourmille d’exemples qui illustrent la difficulté de nos concitoyens quelque peu désemparés à prendre le problème à bras le corps. Devant l’échec des politiques mises en place par les gouvernements en la matière (marqué par l’impossibilité à contenir la hausse des émissions de CO2 mondiales) et l’imminence des changements à imprimer pour rester sur une trajectoire climatique supportable (le dernier rapport du GIEC enjoignant «d’inverser la courbe » des émissions dès 2020, c’est-à-dire demain), nul ne sait à quel saint se vouer.

Les lycéens et étudiants de notre village global mettent leurs aînés devant leur responsabilité et dénoncent leur incapacité à actionner les manettes des pouvoirs économique et politique dans le bon sens ; des associations traînent l’État devant la justice pour manquement à ses engagements récents; d’autres collectifs s’organisent à l’échelle locale pour promouvoir des actions et comportements climato-responsables, comme le mouvement CARE dans la communauté scientifique (voir l’appel dans Le Monde des Sciences), ou les associations zéro-déchets.

De quel côté et dans quel sens va réellement s’enclencher le mouvement vertueux que des pans entiers de la société civile appellent désormais de leurs voeux? Du haut (des gouvernements) vers le bas (vous et moi), ou l’inverse? Autrement dit, dans le langage de la start’up nation Macronienne, faut-il la jouer top-down ou bottom-up?

Les arguments s’entendent dans les deux sens: je me souviens, lors d’un débat autour de la COP21 de 2015 d’un collègue d’un think-tank réputé énonçant que nos actions individuelles ne pèsent que pour 19 % (admirable précision) dans les émissions de carbone d’un pays – le reste étant donc le résultat de choix politiques et d’efforts consentis lors des négociations internationales, avec l’issue que l’on sait. Ce pourcentage est peu enthousiasmant voire démobilisateur quand on nous enjoint chaque jour de faire un geste pour la planète en triant mieux nos déchets, en limitant notre consommation de viande ou nos trajets en voiture, ou en évitant de surchauffer nos logements. A mon humble avis en fait ce chiffre est impossible à estimer réellement, notamment à cause d’un obstacle technique majeur: personne n’est capable de mesurer leur poids exact de ces gestes dans la balance générale. Les données d’empreinte carbone pour les produits de grande consommations se généralisent dans tous les secteurs, mais l’information n’est pas toujours disponible et par ailleurs relativement générique: le thermomètre à CO2 ne saura distinguer la botte de poireaux achetée à la ferme bio à 10 kilomètres de chez vous de celle qui provient de la supérette du coin.

De la même façon, comment prioriser nos choix et arbitrer entre des investissements personnels (travaux d’isolation ou voiture électrique?), si l’on ne dispose pas de l’ensemble du tableau? Enfin il existe une part (les 81% restants de tout-à-l’heure, ou à tout le moins une fraction significative) sur laquelle les citoyens éco-responsables n’ont définitivement pas la main : l’accès à des services collectifs qui sont gérés ailleurs, à de multiples niveaux (de la gestion des déchets par les municipalités aux fonctions régaliennes de l’État, en passant pas la santé et l’éducation).

Indépendamment des contraintes budgétaires des ménages, il reste au final un problème entre offre et demande, et c’est là toute la question. Si tous les Français se mettaient du jour au lendemain à l’électricité verte, les fournisseurs et distributeurs du réseau seraient incapables de suivre – dans le meilleur des cas l’offre sera à la hauteur dans une vingtaine d’années. Rouler à l’électrique implique de déployer un réseau de bornes de recharge très coûteux – et encore faudrait-il que le réseau soit entièrement décarboné, ce qui nous ramène au cas précédent et à l’inertie de nos systèmes technologiques. La transition tant attendue vers une économie neutre en CO2 prendra du temps – trop de temps certainement, et c’est pourquoi le rapport du GIEC précité prône le recours à des technologies à « émissions négatives » à court terme, un pari hautement risqué par ailleurs.

Néanmoins il reste possible d’accélérer le mouvement en jouant sur tous les tableaux : de la demande du côté des consommateurs-citoyens, à la fois en produits et services bas-carbone, et pour une offre politique résolument engagée sur la question climatique - sans oublier un échelon intermédiaire dans lequel tout un chacun, au niveau de responsabilité qui est le sien, pourra faire valoir ses convictions sur le sujet. Celui des décisions, quotidiennes ou stratégiques, des entreprises, administrations, associations ou collectivités auxquelles nous prenons part dans nos différentes sphères d’action et d’engagement. La mise à disposition de données et d’informations sur l’impact des choix et leviers d’action qui s’offrent à ces différents niveaux reste un besoin majeur qui nécessite de redoubler d’efforts sur la création, mise à disposition et la communication de données.

Ainsi informées, les aspirations s’exprimant aux différents étages de la maison pourront converger et empêcher que celle-ci brûle pendant que nous regarderions dans la mauvaise direction...