La première étape du programme

se déroule sans incidents majeurs, en tout cas que je (Ben) sache, à part une crevaison pour la voiture de Chris sur la route forestière du val d'Escreins (route dont l'accès est a priori interdit par une barrière, mais dont Stéph (Vigier) a facilement trouvé le point faible grâce aux infos glanées sur le site Ski Tour). L'objectif pour cette mise en jambes consiste à remonter le vallon au bout de la route pour gagner le sommet du Font-de-Sancte, un premier 3000 à cocher sur la liste de Fredo. Soit un bon 1300 m de dénivelé, dose jugée par ailleurs parfaite (voire maximum) par Missou. Beau sommet diront certains, même si l'épithète deviendra par la suite à ce point galvaudé qu'il en sera censuré par le même Missou. Une fois les skis remisés dans les voitures, au terme d'une descente en neige de printemps à point, puis d'un portage à travers une forêt de mélèzes en pleine effervescence printanière, cap est mis sur le garage le plus proche puis la gare de Guillestre pour les uns, et sur le gîte de la Fouillouse – notre point de chute pour les 2 jours à venir – pour les autres. Ponctualité ferroviaire (sans commentaires) et dilligence d'un mécano qui s'avère par chance être un fondu des couloirs raides aidant, le groupe se retrouve au complet pour discuter des plans du lendemain, dans le magnifique réfectoire voûté du gîte de la Grange. Odilon, hôte et guide de son état nous tuyaute sur les conditions de neige (inhabituellement faibles pour la saison) et confirme que le tour du Brec de Chambeyron, plébiscité par Fredo (entre autres) est une très bonne idée de balade, qui plus est réalisable avec peu de portage en partant rive gauche du vallon creusé par le Riou de Fouillouse, côté Nord.

Le réveil sera matinal

pour éviter de descendre la pente finale du tour, orientée Est, à l'heure chaude. Mauvaise surprise: à l'heure dite les bonbonnes d'eau chaude et de café ne délivrent qu'un filet d'eau glaciale, pour cause d'un mauvais réglage du programmateur électrique. Il faudra donc attendre 20 minutes avant de pouvoir profiter les précieux breuvages… prétexte probablement fallacieux pour expliquer que la pointe du jour (7h) nous trouvera tout juste harnachés à traverser le village en quête de la première langue de neige suffisamment continue pour y glisser skis au pieds. Une habile combinaison de ces plaques nous dépose à la naissance d'une large combe fermant le vallon, dominée par la muraille massive du Brec de Chambeyron. Face à nous le col Stroppia nous attend pour notre itinéraire de retour, tandis qu'on devine à main gauche une brêche sous le Brec, donnant accès au col de la Gypière, frontalier avec l'Italie – première étape du tour. Une bise froide, souvent mêlée de particules de neige arrachées au sol nous gifle le visage alors que nous commençons à contourner la base du Brec, immense et imposant château posé au confluent de trois vallons contigus. Les sommets italiens se découvrent au fur et à mesure, révélant le dédale de cirques, chaînes et vallées suspendues que constitue ce pendant de l'Ubaye français. La descente sur la Fouillouse se fait sur une “moquette” de neige transformée de quelques centimètres d'épaisseur, sur une pente douce et régulière. Pur plaisir du ski de printemps – au point que Noëlle, randonneuse solitaire qui a partagé notre table au gîte la veille, et nous a précédés tout au long du tour, remonte à peaux de phoque pour un tour (et ainsi assurer ses 2000 m de D+ quotidiens? )

L'après-midi est consacré à la découverte du “bain Norvégien” construit par nos hôtes du gîte. Il s'agit de s'asseoir à 6 dans une abreuvoir à vaches dont l'eau est chauffée à 33-35°C (en fonction du degré de cuisson voulu) par un poêle à bois sous-marin en inox. Difficile de s'en extraire une fois que l'on a trouvé l'astuce pour conserver la bouche hors de l'eau… d'autant que le cadre formé par les alpages verdissants côté adret et les cîmes enneigées resplendissant sous le soleil côté ubac composent un cadre pour le moins majestueux. Côté neige, justement, la vue sur les couloirs descendant sur le versant Nord de la chaîne de l'Essayoun ne manque pas de renforcer nos vélléités d'en tenter un ou deux le lendemain. L'accès par le côté Ouest est facile d'après Odilon, et le topo de Stéph évoque un 'self-service de poudre aux portes de Fouillouse'. Pour le moins alléchant !

La montée matinale du lendemain

sera riche d'un point de vue faunistique: Stéph (V) entend roucouler des coqs de bruyère, dont un exemplaire fera une démonstration à quelques privilégiés de son vol pataud (mais efficace) au débouché d'un replat. D'autres non moins privilégiés jureront avoir vu un loup traverser un névé, plus haut derrière le col supérieur de la Mirandol, qui donne accès la face Ouest de l'Essayoun (Odilon en confirmera plus tard la plausibilité, et des traces suspectes avaient aussi été relevées antérieurement dans la neige). Un groupe de chamois (dont certains auraient séché les cours de camouflage, d'après Fredo) gambadait paisiblement quelques pierriers plus loin, ignorant du danger – le loup lui s'étant rapidement planqué derrière un gros rocher. Deux lagopèdes ont enfint voleté dans les barres rocheuses que nous devions contourner avant d'accéder à la pente sommitale.

Le point culminant de la chaîne est atteint par une arête de neige – que l'on pourrait qualifier de belle et aérienne, au risque du pléonasme, mais qui avait aussi le mérite de donner une vue plongeante sur le couloir “en banane”: 300 m de pente à 40 voire 45° d'inclinaison, dans un repli de terrain en arc de cercle encaissé et protégé du soleil. De l'autre côté en revanche, nulle trace des belles pentes orientées Ouest entrevues sur la carte – excluant une première partie de programme un temps envisagée. Nous hésitons entre la “banane” (cotée 4.1 dans le topo, sur une échelle qui s'arrête à 5), et son voisin d'à côté, un cran en dessous (3.3). Même si ce dernier finit par susciter un consensus raisonné, l'occasion en longeant le premier paraît trop belle et nous y basculons in extremis par une pente plutôt raide. La portion haute de la banane est succulente (fine couche de poudreuse tassée, plaisir de rebondir dessus de virage en virage). La neige se durcit dans la partie inférieure du couloir, dans laquelle se sont également accumulés des “grumeaux” compacts formés par une avalanche de fonte. Les lèvres de la banane forment une échappatoire plus commode, mais exposé et parsemé de jeunes mélèzes. Heureusement le couloir débouche rapidement dans une vaste combe, dont la neige tranformée et inclinaisons sont plaisantes. A l'orée de la forêt qui démarre en contrebas nous conférons sur la suite du programme – la matinée se finit tout juste. Passer derrière l'arête qui borde la combe, côté Fouillouse, pour trouver un autre couloir paraît une bonne idée. De même qu'une petite halte sur un tapis d'aiguilles de mélèzes pour Chris, une fois sur le replat qui donne accès à plusieurs petits couloirs au dessus. Notons au passage que Chris, temporairement dépourvu de son statut de photographe officiel, n'en profite pas moins pour coacher Stéph (Pointeau), qui dégaine son portable presqu'aussi vite qu'il skie – ou cuit ses fabuleux muffins qui agrémentent nos efforts quotidiens.

Grisés par l'ivresse de notre victoire sur la “banane”, nous finissons par glisser sur sa peau. L'idée qui paraissait simple au départ (monter vers le collu à gauche pour descendre le couloir en dessous) prête rapidement à confusion. Un premier groupe dérive vers la forêt à main gauche, un deuxième explore les grumeaux du couloir, tandis qu'un troisième traîne en exprimant des doutes sur le bien-fondé de l'entreprise. L'équipée se termine par une traversée raide et exposée vers une crête salvatrice, alors que l'heure avance et que la stabilité des pentes supérieures diminue à vue d’oeil… La trace rectiligne est bien visible du balcon du gîte de Fouillouse, témoin gênant que nous aurions bien effacé d'un coup de spatule…d'autant que la suite consista à descendre le talus exposé au soleil que nous rechignions à monter 2 heures auparavant. Heureusement nous avons pu regagner la combe du couloir précédent sans encombres. La conclusion de cette aventure, tirée autour d'un plat de pâtes qui sera rapidement bissé, sera de toujours rester groupés tant que l'itinéraire n'est pas approuvé par et clair pour tout le groupe. Conseil qui sera suivi à la lettre jusqu'à la dernière descente du raid !

Vient l'heure de la première séparation: Chris part sur Nice, non sans avoir procédé à la distribution des superbes albums qu'il a concoctés pour la “session” 2016: de la “photo muffins” aux sauts à ski aussi grâcieux qu'improbables, les bons souvenirs sont là pour rappeler de garder le sourire en toutes occasions, car “ça va pas durer”, selon le dicton Chaptalien – pas encore démontré à ce jour… Le reste du groupe se dirige vers le hameau de Maljasset, dans la vallée de l'Ubaye, à quelques kilomètres à vol d'oiseau de Fouillouse. Au passage nous admirons à nouveau le 'pont du Diable' (même si ce n'est pas son vrai nom) qui permet de franchir l'Ubaye au niveau d'une gorge étroite profonde d'une centaine de mètres. La vue depuis le parapet sur les eaux qui bouillonnent en contrebas est proprement saisissante – rien n'arrête le regard, si ce n'est les lignes fuyantes des parois calcaires verticales. L'accueil dans notre nouveau gîte (dit 'de la Cure') est un brin rêche au prime abord, mais les relations avec le chef cuistot Hubert (natif du patelin visiblement) et sa femme Klyte (prononcer 'Claïte), qui est Australienne, se dégèlent au cours du fabuleux dîner servi par nos hôtes (comme dit la brochure, la nourriture est prise très au sérieux dans cette maison). La tarte au rhum se révèle grâce aux explications de Klyte aromatisée au romarin; Hubert nous explique ensuite les cols, sommets et vallons de son terrain de jeu par le menu.

Nous traversons le lendemain plein Sud vers le Val di Maira

en Italie, plus précisémen le rifugio Campo Base dans lequel nous passerons les 2 nuits qui suivent. Le temps étant (toujours!) beau, nous décidons, plutôt que de suivre l'itinéraire le plus direct (par la vallon de Mary puis le col éponyme), de faire un détour par le col des Marinets à l'Ouest du vallone de Mary puis d'accrocher au passage un 2ème 3000, le Monte Ciaslaras. Bonne pioche sur le début de l'itinéraire: la neige s'atteint en 5 minutes depuis le parking d'été (en bordure de l'Ubaye), la surprenante aiguille Saint-André (surnommée “la Dibona de l'Ubaye” pour son caractère élancé et solitaire) s'illumine à notre passage au soleil levant et son granit coloré brille de tous ses feux, le vallon est tranquille, les marmottes tout juste sorties de leur hibernation sortent de leurs terriers le nez à l'air… Au loin deux skieurs manoeuvrent à mi-pente pour descendre dans le vallon – vision surprenante à cette heure avancée, mais peut-être rebroussent-ils chemin après avoir fait fausse route ? Quelques minutes plus tard, un premier 'collant-pipettes' aux couleurs pétantes passe à notre hauteur comme une flèche – son acolyte un peu moins affuté suit, puis se lance dans le passage 'en Z' que nous allons aussi emprunter pour rejoindre le vallon des Marinets puis le col correspondant quelques 500 m au-dessus du fond du vallon (relativement plat) de Mary. Un lacet du Z et une demi-heure plus tard, les deux coureurs à ski ne sont plus que 2 points qui remontent vers l'Aiguille Large, derrière nous. De nouveau seuls nous admirons le cirque très sauvage qui borde notre vallon suspendu côté Ouest. Un piton rocheux planté au milieu invite à en faire le tour, quelques couloirs abrupts retiennent le regards, dont certains sembleraient tentants, n'étaient-ce les barres rocheuses qui en compliquent la sortie.

Une petite pente raide et nous arrivons au col des Marinets, qui domine le col Mary en contrebas. Derrière ce passage s'ouvre une combe coupée par la face Nord du Ciaslaras, qui vient buter sur un large couloir menant au pied du triangle sommital. Notre 2ème 3000 nous attend! Malheureusement le théâtre d'ombres qui se joue sur l'arête terminale confirme l'impression du matin: nous ne sommes pas les seuls à passer par ce sommet. En fait c'est un défilé mélangeant tous les styles (raquettes, skieurs amateurs, cramponneurs du dimanche, compétiteurs émaciés équipés de skis-allumettes et de chaussures allégées) qui se presse sur ce belvédère. Stéph (P) étrenne ses crampons-alu, et en profite pour peaufiner les réglages tout en maîtrisant la peur du caillou - fatal aux dents poids plume, d'après la notice; un pro de la compète nous explique qu'il a fait un tour des sommets alentours pour s'entraîner pour la grande course italienne de ski de rando la semaine prochaine (et donc qu'il y va tranquillo). Son collègue plus jeune chausse ses skis à quelques mètres du sommet et descend vers une corniche vertigineuse pour rejoindre l'itinéraire de descente vers le Val di Maira, le 'vallon de l'Infernetto' (tout un programme !) Nous suivrons quelques instants plus tard, mais sur les contre-pentes de neige transformée, plus accueillantes et moins impressionnantes. Après la traditionnelle pause “muffins” (encore merci Stéph) nous négocions l'arrivée vers le rifugio, croisant les doigts (à défaut des skis) pour que la neige ne s'arrête pas 600 m au-dessus de celui-ci, en face Sud… et prenons finalement pied sur la route qui dessert le fond de la vallée, à quelques 3 kilomètres du refuge. Moins d'une heure de marche plus tard, nous dégustons les tagliatelle et autres gnocchis faits maison, avec vue sur la 'Rocca Provezale', immense pointe rocheuse qui domine le village de Chiappera.

Notre troisième guide local, dit Roberto (voir l'épisode 1 de la série et le célèbre refuge Gastaldi – en fait ici Roberto s'avèrera s'appeler Andrea), est un quadragénaire de taille moyenne, plein d'énergie et surtout très avenant. Une fois la table de notre copieux repas (nous sommes en Italie, rien n'est laissé au hasard par ailleurs…) débarassée, nous demandons conseil à Roberto/Andrea sur l'itinéraire entrevu pour le lendemain: il s'agit de monter à un premier sommet (malheureusement pour Fredo en dessous de 3000), via le colle Sautron (qui descend donc du Sautron, un vrai 3000 du coin, pour le coup), pour en descendre via un couloir en face Est (coté 3.2, donc quasi-débonnaire), puis de faire en aller-retour un couloir Nord plus raide, en espérant qu'il soit encore en poudreuse. Andrea opine du chef, valide le projet et nous suggère même un deuxième parcours en 8 pour atteindre le sommet du 2ème couloir via un autre sommet. Seul conseil: partir tôt pour que la neige reste en conditions. Mais, explique-t-il, le colle Sautron s'atteint en seulement 1h30 (même si il faut compter un bon 1000 m de dénivelé pour y arriver depuis le refuge !). Nous marchons vite, d'après lui - bien sûr nous sommes flattés de l'apprendre !

Une heure trente s'est écoulée depuis le départ matinal

et nous sommes encore loin du col… Il a fallu trouver la neige (près de 300 m au-dessus du refuge, sans compter la légère descente pour arriver dans l'axe du verrou qui donne sur le vallon à remonter), changer de chaussures (pour Missou, prévoyant !) et les cacher dans un rocher, chausser/déchausser/rechausser pour les amateurs de remontée de vielles coulées d'avalanche à skis (Fredo et Ben), chercher le second souffle qui tardait à venir (Stéph (V) et Fredo), compter les chamois/chevreuils qui prenaient le soleil sur les premières pentes… bref, les joies des découvertes d'un nouvel élément ! La fine poudreuse tombée la veille, quand le ciel s'est couvert et l'air refroidi brusquement, a raison des peaux de Ben, qui commence à botter sérieux. Flanquant un grand coup de bâton rageur sur le ski en défaut, ce dernier a la surprise d'en voir la pointe décrire un magnifique arc de cercle au-dessus de sa tête pour finir planté dans la neige. Montée d'adrénaline: comment finir le raid avec une seule bâton, surtout dans des pentes marquées où l'on a besoin de deux appuis lors des conversions ? Faudra-t-il se contenter d'un piteux retour vers Maljasset par le col Mary ? Cela serait trop bête… Coup de chance: la pointe même ainsi tronçonnée a le bon goût de rentrer dans la partie supérieure du bâton téléscopique, tout en fournissant encore un bon mètre de hauteur. C'est reparti ! (moyennant aussi un coup de fart issu du précieux kit de Fredo, celui qui permit aussi de réparer la chaussure du même Ben, qui avait donc semé sa sangle supérieure dans les alpages de Fouillouse, et l'avait miraculeusement retrouvée, et également celle de Chris, sur laquelle se penchèrent de nombreux experts d'un large éventail de spécialiés, avant de converger vers un strapping qui sauva, encore une fois, la mise; dans la série chaussure il faudrait aussi mentionner les talonnettes de Stéph Pointeau, et le thermo-solaro-formage des Dynafit de Missou avec une pièce en bois pour éviter de faire frotter la malléole).

Midi avait largement sonné quand nous atteignâmes le haut du premier couloir – celui qui était en face Est. La neige devait déjà y être trop molle pour tenter quoi que ce soit, nous nous sommes donc rabattus sur un couloir Nord entrevu à la montée. La neige y oscillait entre dur et croûté, pas donc la panacée mais au moins nous avions déjà fait un couloir, l'honneur était sauf (faute d'harmonisation préalable l'horaire officiel ne sera jamais communiqué à Andrea). Restait le couloir Nord, sous l'Aiguille de Barsin; l'itinéaire de montée suggéré par Andrea apparaissait déjà hors de portée, d'autant qu'il n'avait rien d'engageant (pente raide sous une corniche, pas l'ombre d'une trace, un long détour avant de revenir vers le sommet proprement dit). Une observation à la lunette (de Fredo) révèle une abondance de 'grumeaux' dès le premier tiers du couloir (celui qui prend très peu le soleil a priori); le bas à l'air en mauvaise neige - probablement croûtée. Bref, cela sera pour une autre fois… Pour compenser nous montons une bonne centaine de mètres dans une pente ornée de belles traces, à l'aplomb d'un petit col. La neige reste dure mais on retrouve un peu de poudreuse dans des goulets bien abrités du soleil. La descente se termine par un slalom entre mélèzes et rochers, pour exploiter au mieux les plaques de neige encore présentes. Difficile de manoeuvrer dans le soupe épaisse qui a tendance à avaler un ski et bloquer la prise de carre… mais à l'arrivée il ne nous reste plus que 100 mètres à descendre, une belle prouesse par rapport au long portage de montée !

En fond de vallée, les 2 kilomètre sur la route goudronnée qui nous attendent semblent interminables. A voir passer les voitures (surtout des 4x4) qui montent vers le départ des randonnées, nous nous prenons à rêver qu'un mini-bus va s'arrêter à notre hauteur et nous épargner la dernière demi-heure de marche chaussures de ski aux pieds (sauf Missou qui a prévu les baskets) avec tout notre barda sur le dos. Et c'est là qu'un premier miracle se produit: un sympathique skieur (équipé d'ailleurs des mêmes planches que Ben), nous ayant vu en descendant en sens opposé fait demi-tour et nous propose spontanément de nous conduire à notre destimation. Cadeau du Père Noël selon Fredo, qui a d'ailleurs eu le réflexe de tendre son pouce pour confirmer le sentiment général des troupes. De quoi nous épargner des ampoules pour la marche d'approche d'une heure le lendemain matin, du refuge au lieu dit Les Granges d'où démarre notre itinéraire de retour vers la France, et qui s'annonce mal. Le seul taxi du coin est en vacances (week-end de Pâques oblige), Andrea est parti à Turin et ne sera pas de retour à temps pour nous convoyer, et enfin nos sympathiques voisins de chambre du CAF de Nice, venus à 25 explorer les environs en raquettes, partiront d'un autre endroit (et ne décollent pas avant 8h de toutes façons !)

Il est à peine 6h30 quand nous nous préparons à partir

à pied le lendemain. Un des aides du gardien sort précipitamment du refuge pour nous dire que finalement son chef ('capo') arrivera dans moins d'une demi-heure pour nous emmener en voiture; le Père Noël a de nouveau sonné et sauvé la journée ! Car ce n'est pas une heure de portage que nous aurions eue à endurer, mais près de 3 heures en tout, la neige sur le versant Sud que nous remontons ce matin n'apparaissant réellement qu'à l'altitude de… 2500 m !

Avant de chausser les skis à la nassaince d'une vallée suspendue sauvage, il nous faut négocier un couloir étroit, assez pentu et partiellement enneigé. Quel que soit l'itinéraire choisi, il s'agit d'un terrain mixte entre neige dure et bosselée, rocher offrant de bonnes prises de main mais uniquement d'un côté, pierriers branlants ou mottes d'herbe encore constellées de gouttes d'eau gelée… de quoi éprouver son pied montagnard et aussi ses nerfs de temps à autre. La vallée bute sur un cirque dominé par le Mont Ciancion sur la gauche, et un large col donnant sur le vallon de Mary à droite. Nous avions repéré la veille avec Andrea un couloir montant directement au sommet, donné à 35° de pente au plus fort, et dont l'exposition (NE) était plutôt favorable. Après quelques débuts de glissade (la neige alterne entre déjà transformée et encore gelée, ce qui favorise son accumulation sous les peaux de phoque…), Ben capitule à l'entrée d'une étroiture et tout le monde passe en mode crampons. Les 100 m de montée qui restent sont en fait bien plus raides que prévus (un petit 50° en cherchant bien), et se déroulent dans une ambiance très alpine avec les éperons rocheux qui barrent le couloir. Andrea ne nous avait pas menti: le sommet est un belvédère parfait avec vue sur l'ensemble de nos itinéraires et conquêtes des jours précédents… d'aucuns prétendent qu'on peut voir la mer en plus, et le golfe de Gênes – en tout cas le massif de l'Argentera au Sud, qui nous en sépare.

La poudreuse vantée par les coureurs italiens 2 jours avant n'est plus au rendez-vous, en revanche. En cherchant bien il est possible de trouver des contre-pentes de neige tassée en face Nord, puis de la moquette de printemps sur les versants Est. Nous retrouvons ainsi rapidement la voiture de Fredo, puis le gîte de Klyte et Hubert, qui nous accueillent avec un succulent plateau de fromages et charcuterie locaux. Option escalade l'après-midi, avec la visite d'une petite école de préparation à la pointe Saint-André (la 'Dibona' du coin), en bord de rivière… et sur des prise en marbre, ce qui n'est pas très courant ! Fin XIXème la vallée a cru pouvoir se développer grâce aux nombreuses carrières de ce précieux rocher découvertes aux alentours, mais la faible densité des filons et leur éloignement ont eu rapidement raison de cette industrie acrobatique.

La météo annonce un coup de vent du Nord pour le lendemain,

forçant rapidement dans la matinée. Nous optons pour une montée éclair à la pointe basse de Mary (cotant tout de même 3130 m), avec un départ à l'aube, comme d'habitude… les premières pentes sont vite avalées, et nous arrivons au sous les pentes sommitales autour de 9h. Encore une fois les pentes raides nous poussent à terminer en crampons (à l'exception de Ben qui préfère conserver les couteaux le plus longtemps possible, puis monter à pied pour cause de grève des crampons, et de Missou qui a aussi fait la grève mais restera plus sagement en contrebas). Les bourrasques de vent mêlé de grésil qui nous attendent sur la crête avant le sommet manquent de nous flanquer par terre. Nous posons les sacs et skis (qui offrent trop de prise au vent), courons au sommet, puis redescendons avant d'être complétement frigorifiés. La descente sera en neige dure tendance acier à cette heure matinale. Nous croisons tout en bas le groupe de profs de Gap avec qui nous partageons le gîte, qui doivent se dire que nous sommes bien fadas de monter aussi tôt pour redescendre sur de la tôle gelée… mais Ben a un train à prendre à 17h en Italie et les autres sont pressés de rentrer en Savoie, après cette semaine de raid !

Nous descendons la vallée sous un grand soleil, admirant la vitesse avec laquelle la végétation reprend le dessus sur la froidure de l'hiver en ce début de printemps… c'est bien fini pour le ski mais les prochaines saisons reviendront vite...

En attendant, bye bye l’Ubaye !